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Retour sur la conférence « Veille et OSINT au service de l'investigation et de la traçabilité du marché de l'art »

13 décembre 2022 Les Clubs
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Détective privé, enquêteur privé, agent de recherche privé… Nombreuses sont les appellations pour nommer la profession qui consiste à investiguer dans le marché de l’art. Durant leurs enquêtes, les cabinets spécialisés utilisent la veille et l’OSINT (Open Source Intelligence, ou renseignement en sources ouvertes) pour remonter à l’origine d’œuvres d’art et préparer leurs enquêtes terrains. Camille Dolé est venue parler de ce métier dans la conférence qu’elle a tenue au 196 rue de Grenelle, à l’Ecole de guerre économique, conférence visionnable ici.

 

Le métier de détective privé

 

Régi par le Code de la sécurité intérieure - d’où découle un code de déontologie, le détective privé est une « profession libérale qui consiste, pour une personne, à recueillir, même sans faire état de sa qualité, ni révéler l'objet de sa mission, des informations ou renseignements destinés à des tiers, en vue de la défense de leurs intérêts » (article L621-1 du Code de la sécurité intérieure). L’enquêteur privé peut donc « recueillir, même sans faire état de sa qualité ». Ainsi, il n’a pas à se présenter ou décliner son identité et à la possibilité de la cacher. Il peut d’ailleurs en créer une, sans usurper bien sûr l’existence d’une personne. Contrairement à la police, le détective privé n’a pas besoin de donner l’objet de sa mission et peut le transformer. L’information qu’il collecte est destinée à des tiers, et non à sa personne propre. L’agent de recherche privé sert donc des intérêts privés et défend ceux d’une autre personne. Une instance supérieure, le CNAPS (Conseil National des Activités Privées de Sécurité), contrôle et rattache aussi la profession au ministère de l’Intérieur. 

 

Le détective privé intervient dans des domaines très variés. C’est généralement au sein de la justice et pour aider dans des procédures judiciaires qu’il est appelé. Si il peut intervenir lors d’une procédure de divorce afin de prouver un adultère, et donc acter le divorce « pour faute », le détective intervient aussi par exemple dans le droit social, dans le droit des entreprises ou encore dans les contre-enquêtes pénales (quand une personne cherche à contrer le verdict du tribunal). Son rapport est recevable en justice et sert à un avocat comme preuve officielle. 

 

Pluriel sont les acteurs qui ont besoin de recherches de provenance. Beaucoup sont des musées qui achètent des œuvres et ont besoin de faire des recherches sur le passé plus ou moins récent de ces dernières . Si les musées font régulièrement appel à leur service interne (souvent tenu par des historiens), il est tout aussi intéressant de faire appel à des chercheurs externes. Marchands, collectionneurs, institutions (notamment pour les prêts entre institutions) sont aussi des clients. Il existe également  la possibilité de travailler de manière autonome sur des sujets que l’agent voit passer, pour ensuite prévenir les personnes concernées.

 

La veille sur le trafic d’œuvres d’art

 

Afin de se tenir au courant des œuvres faussées ou volées en liberté au sein du marché de l’art, il est nécessaire de mettre en place une veille. Le projet ATHAR en est un excellent exemple. Le but était de démontrer que les réseaux sociaux participent de manière intensive au trafic de biens culturels. Publié en 2019, le projet s’est concentré sur les groupes Facebook qui s’intéressent aux œuvres antiques et archéologiques provenant du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord. Il est possible de trouver sur ces posts des offres d’achat et de revente d’objets provenant de ces deux régions, parfois même des vidéos où une œuvre est sortie de terre pour être présentée. Par exemple, il est possible de trouver un objet provenant d’Iran, dont les photos sont postées par un groupe localisé en Syrie et publiées par un turcophone, ce qui démontre l’interconnexion du marché et du business. 

 

Parmi les autres réseaux sociaux, Instagram n’est pas en reste : avec des mots-clés, des vidéos montrant des individus qui creusent, déterrent et exposent des objets peuvent être visionnées. S’il y a certainement une part de  mise en scène dans ces extraits,  se renseigner sur ces personnes est intéressant car cela permet de rebondir sur leurs abonnés et donc de suivre de potentiels revendeurs. Ce phénomène de vente sur Facebook a connu une explosion à partir de 2011, soit durant le « Printemps arabe ». Entre 2016 et 2017, le phénomène était à son paroxysme puisque ce sont presque 160 000 membres qu’il était possible de retrouver sur certains groupes « privés », où il suffit en réalité de répondre à de simples questions banales pour y entrer.

 

L’importance de la veille pour mener des enquêtes

 

Pour commencer une base de veille, il faut d’abord trouver des bases de données. Interpol dispose par exemple d’une base de données sur les œuvres d’art (Works of Art database), accessible avec  un compte. Il n’en reste pas moins que les œuvres d’art les plus recherchées (The most wanted works of art) sont disponibles en source ouverte sur le site d’Interpol. Sur l’application gratuite ID-Art d’Interpol, il est aussi possible d’avoir accès aux données de l’organisation sur tous les objets déclarés volés. Autre qu’Interpol, il existe aussi des listes rouges des biens culturels en péril, telles celles du Conseil international des musées (aussi appelé ICOM, International Council of Museums). Il en existe pour quelques dizaines de pays, elles signalent les œuvres sensibles au vol et à leur défense, décrivant au passage les biens. Le ministère de la Culture possède aussi une base de données importante. Pour la veille dite classique, il existe beaucoup d’actualités sur les biens et œuvres volées ; et dans les catalogues des ventes aux enchères publiques, classés par thème de vente (tableaux de maître, pièces archéologiques, etc.), il n’est pas rare d’en trouver certains. 

 

La recherche d’image inversée peut aussi bien évidemment servir. Si la recherche fait apparaître sur un autre site la même image, il est possible de  se demander si le propriétaire donné existe vraiment, qui est à la tête de ce site internet, qui a possédé l’œuvre et est maintenant son vrai propriétaire, etc… Les photos de biens culturels disposent aussi d’un numéro unique, qui permet de retrouver un objet ou de savoir si la photo utilisée est officielle. Lorsque le détective tombe sur un objet vendu, il peut essayer de contacter son propriétaire pour connaître le précédent vendeur, les modalités d’acquisition, etc… Le certificat d’authenticité peut aussi être vérifié, notamment par recherche inversée, afin de savoir s’il correspond bien à l’objet vendu. La veille permet ainsi de soulever des doutes et des suspicions, qui seront creusés grâce à l’OSINT.

 

L’OSINT afin de préparer une enquête de terrain

 

L’OSINT suit la veille et anticipe la préparation d’une enquête terrain. L’investigation en source ouverte permet de documenter ses propos et d’avoir des sources afin de pouvoir revenir sur des éléments. Mais il ne faut pas oublier d’établir une méthodologie solide permettant de définir des étapes : la veille dure un certain temps où certains éléments sont notés ;  puis, le détective privé passe à la recherche approfondie via l’OSINT. Il faut alors savoir hiérarchiser les informations trouvées sur les objets et prioriser ses recherches, tout en n’hésitant pas à contacter des institutions pour affiner les points à cibler. À la suite de la première phase que sont la veille et l’OSINT, s’ouvre celle de l’enquête terrain s’appuyant sur les informations trouvées. L’enquête terrain permet alors de vérifier la véracité des informations (sont-elles réelles ? Encore actuelles ?). Le rapport rendu à la fin de toutes ses phases doit, par une solide documentation chronologique, rappeler l’histoire de l’objet et sa traçabilité.

 

Parfois, l’enjeu de l’enquête semble moindre : un homme a acheté une maison, et il trouve à l’intérieur de cette dernière une statuette d’Elie Nadelman nommée Standing Nude Women. Il demande alors à un intervenant extérieur de se renseigner sur son histoire. L’enquête est menée durant le confinement, il ne faut donc pas trop se déplacer : elle est un parfait exemple de recherche en source ouverte sur internet. Au tout début de l’enquête sur une œuvre, il faut se renseigner sur l’artiste, sa vie, et il est souvent nécessaire d’aller aux archives pour récupérer des photos et des documents d’époque. C’est dans ces archives que l’intervenante trouva une photo de la statuette chez la famille Stein, famille de grands collectionneurs qui ont aidé à faire connaître des artistes comme Picasso. En utilisant les dossiers d’archive, notamment ceux numérisés, ainsi que la recherche internet par les opérateurs booléens, certains doutes ont pu être dissipés sur la statuette. Cette dernière a notamment eu des clones en bronze calqués sur l’original en plâtre, et il y est indiqué qu’elle représente Gertrude Stein. Lors  d’une  enquête sur un bien culturel, il faut étudier les différents propriétaires et leur famille. L’enquête terrain permet alors de remonter aux liens, souvent familiaux, qui ont mené à l’arrivée de la statue en ces lieux. C’est notamment grâce aux Archives Nationales que ce travail de généalogie peut se faire, tout en permettant d’obtenir des informations sur les biens fonciers et immobiliers. Contacter le notaire pour les ventes est donc à privilégier dans cet exemple ! Lié à la famille acheteuse et aux différents acheteurs, ce dernier peut fournir des informations. Tout ceci permet de remonter la chronologie de l’objet, et donc d’établir sa traçabilité, afin d’identifier si l'œuvre n’a pas été volée.

 

L’un des vols les plus célèbres au sein de l’art est Le Christ dans la tempête sur la mer de Galilée, datant de 1633 et peint par Rembrandt. Ce dernier a été volé au musée Isabella-Stewart-Gardner, à Boston, avec 12 autres œuvres le 18 mars 1990. Il existe d'ailleurs un documentaire Netflix sur cette affaire. Actuellement, 10 millions de dollars sont proposés pour retrouver le tableau, car il est la pièce maîtresse des 13 œuvres. Encore aujourd’hui, ces œuvres sont introuvables, sachant que l’ensemble est estimé à 428 millions de dollars. Cependant, la somme proposée en récompense peut motiver certaines personnes à chercher le tableau, à la manière des bug bounty (chasse aux bugs) qui récompensent les individus trouvant des failles permettant un hack du système et qui en font part aux entreprises concernées. Peut-être y a-t-il une piste ici à creuser pour permettre de lutter efficacement contre le trafic d’art.


Ronan LE GOASCOGNE pour le Club OSINT & Veille

 




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